Le syndrome de l’imposteur est un phénomène psychologique qui fait beaucoup parler de lui depuis plusieurs années. Il touche une multitude de personnes, indépendamment de leur niveau de réussite ou de compétence, mais aussi de leur âge et de leur profession.
Bien qu’il soit observé chez des individus de tout genre, il semble très marqué chez les femmes et les personnes issues de groupes minoritaires, comme le montre notamment cette méta-analyse, publiée dans le Current Research in Behavioral Sciences (en anglais). Dans cette étude, les femmes, ont obtenu des scores plus élevés que les hommes sur les différentes échelles de mesure du syndrome. Selon nous, le terme masculin d’« imposteur » n’illustre pas clairement cette réalité, c’est pourquoi cet article parlera plutôt de syndrome de l’imposture.

Un sentiment d’incompétence devenu syndrome
Le syndrome de l’imposture se manifeste par un doute permanent, un sentiment persistant d’incompétence, ainsi qu’une peur irrationnelle que cette « fraude » soit exposée aux yeux de toutes et tous. Les personnes touchées sont convaincues de ne pas mériter leurs succès, malgré toutes les preuves tangibles de réussite. Elles préféreront attribuer leurs accomplissements à la chance, au timing ou à d’autres circonstances extérieures. En bref, à tout sauf à leurs propres compétences et leur travail.
Le syndrome de l’imposture a été conceptualisé pour la première fois en 1978 par les psychologues américaines Pauline Rose Clance et Suzanne Imes. Leur étude portait sur 150 femmes, toutes officiellement recommues pour leur excellence professionnelle par leurs pairs. Malgré cette validation externe et leurs résultats scolaires univoques, ces femmes ne bénéficiaient pas de la reconnaissance interne adéquate, préférant expliquer que leur succès était le fruit de la chance et que leurs capacités étaient tout simplement surestimées par les autres. Globalement, il est estimé qu’environ 60 à 70 %* des personnes douteraient à un moment donné de la légitimité de leurs succès et ce quel que soit leur milieu professionnel.
* Le complexe d’imposture, ou, Comment surmonter la peur qui mine votre réussite, Pauline Rose Clance, édition Flammarion (1992), (ISBN 978-2080648778)
Outre le doute de soi chronique, les symptômes de ce phénomène sont donc nombreux :
- Peur de l’échec et de la critique
- Difficulté à accepter les compliments ou la reconnaissance
- Tendance à attribuer ses succès à des facteurs externes
- Comparaison constante avec les autres
- Perfectionnisme excessif
- Peur de se voir démasqué·e
Les préjugés et stéréotypes : des causes qui pèsent lourd
Les causes du sentiment d’imposture sont multiples et polymorphes. Elles sont notamment liées à trois types de facteurs :
Les facteurs individuels : il s’agit ici de la personnalité, des traits de caractère de chaque personne, tels que la tendance au perfectionnisme, le besoin de contrôle ou encore une faible estime de soi.
Les facteurs familiaux : par exemple l’éducation reçue, les éventuels messages contradictoires perçus pendant l’enfance, la surprotection exercée par les proches, la surestimation et survalorisation de l’intelligence ou des attentes élevées de l’entourage.
Les facteurs sociétaux : la société, et plus précisément son fonctionnement et ses valeurs individualistes constitueraient l’une des causes du syndrome de l’imposture. Ce dernier peut être accentué par les normes culturelles et autres diktats sociaux. Par exemple, certaines cultures minimisent le succès individuel au profit de l’humilité, trait de caractère plus valorisé, ce qui peut amener les personnes à sous-estimer leurs réalisations.
C’est dans cette troisième catégorie que les stéréotypes et préjugés jouent un rôle prépondérant. En effet, ces idées toutes faites influent aussi bien sur l’émergence que sur la persistance du sentiment de commettre une « fraude ». Les femmes et les personnes issues de groupes sous-représentés sont souvent confrontées à des stéréotypes qui remettent en question leurs compétences et leur légitimité. Elles vont alors jusqu’à intérioriser l’idée qu’elles ne sont pas « à leur place », ce qui leur donne l’impression de devoir constamment prouver leur valeur. Il est important de noter ici à quel point l’effet systémique du sexisme et des stéréotypes vient exacerber le syndrome.

Plus généralement, notre perception des femmes et des personnes issues de minorités ou d’autres groupes marginalisés est elle aussi influencée par les idées reçues. Conséquence dans le milieu professionnel : leurs opportunités sont limitées et leurs évolutions (vers des postes de direction, par exemple) sont freinées. Cela peut se traduire par le fait d’exclure d’office les femmes des candidatures à des postes à responsabilité puisqu’il est admis qu’elles se consacrent davantage à leur famille et ont donc moins de temps disponible. Notons également que, outre les stéréotypes de genre ou de race, ceux liés à l’âge peuvent aussi exacerber le sentiment d’illégitimité. C’est le cas de l’idée selon laquelle les jeunes auraient moins d’expérience et donc moins d’aptitudes.
Les effets du sentiment d’imposture peuvent être dévastateurs tant sur la carrière que sur la santé mentale des individus. Parmi ces conséquences, on retrouve :
- La limitation de la prise de risque
- une frilosité à accepter de nouvelles opportunités
- une tendance à l’autosabotage (par exemple éviter de postuler à certains postes par peur d’échouer)
- une diminution de la confiance en soi et de l’estime de soi
- une surcompensation par un perfectionnisme excessif pouvant aller jusqu’à l’épuisement professionnel,
- une anxiété chronique et un stress accru pouvant déboucher sur une véritable détresse émotionnelle.
Face à ce constat, comment agir ?
Il existe des stratégies individuelles efficaces pour contrer le syndrome de l’imposture, bien qu’il puisse être profondément enraciné. On préconise entre autres de reconnaître et d’accepter ses émotions, de repenser ses croyances en challengeant les stéréotypes qu’on a intériorisés. Le partage d’expérience et la création d’un environnement de soutien seraient aussi bénéfiques. Et, bien sûr, se fixer des objectifs réalistes et célébrer chaque progrès, chaque succès.
Cependant, partir du principe que les solutions ne se situent qu’à un niveau individuel serait une erreur. Il est non seulement possible, mais surtout nécessaire d’agir au niveau des entreprises et plus largement de la société. En d’autres termes, si le souhait est d’éradiquer le syndrome, combattre le sexisme doit être une priorité puisque c’est le système qu’il faut panser et non les personnes qui en sont victimes.
Comment ? En combattant les préjugés et stéréotypes à la racine. En agissant concrètement pour l’égalité professionnelle. En s’attaquant aux systèmes organisationnels, aux process et aux pratiques mises en place dans les organisations. En érigeant les parcours hors-normes en exemples. En valorisant la diversité. En considérant les personnes non plus par le prisme de leur genre ou de leurs origines (réelles ou supposées), mais bien par celui de leurs compétences. En célébrant les réussites individuelles des unes et des autres. En faisant de l’exception la règle.
Le syndrome de l’imposture est un défi intérieur qui touche de nombreuses personnes à un moment donné de leur vie. Il trouve ses racines à la fois dans des facteurs individuels et dans des structures sociales plus larges. La lutte contre ce sentiment aux effets délétères doit elle aussi se jouer sur les deux plans : au niveau personnel et au niveau de la société elle-même. Puisque cette dernière en est en partie responsable, c’est collectivement qu’il convient d’agir pour surmonter ce sentiment d’illégitimité malheureusement trop répandu. Le doute perpétuel est un cycle qui peut se briser ensemble, en reconnaissant que chaque personne mérite sa place et en faisant en sorte qu’elle en ait conscience.